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«C’était un ange déchu» : qu’est-il arrivé à Gérald Thomassin, acteur mystérieux au destin maudit ?

2021-04-15T15:10:54.519Z


Dans «l’Inconnu de la poste», Florence Aubenas enquête sur l’erreur judiciaire dont a été victime Gérald Thomassin. Mais qui est cet acteur Lorsqu’il parle de son frère, Jérôme Thomassin commence ses phrases par : « Gérald a toujours été… » Comme pour souligner qu’il connaît mieux que personne ce quasi-jumeau, né en 1974, « 364 jours » seulement avant lui. Peut-être aussi pour ne pas trancher, dans une plaie à vif, entre le présent et le passé. « Il est toujours vivant pour moi », lance ce cuisinier à Foix, ancien rugbyman. Avant de l


Lorsqu’il parle de son frère, Jérôme Thomassin commence ses phrases par : « Gérald a toujours été… » Comme pour souligner qu’il connaît mieux que personne ce quasi-jumeau, né en 1974, « 364 jours » seulement avant lui. Peut-être aussi pour ne pas trancher, dans une plaie à vif, entre le présent et le passé. « Il est toujours vivant pour moi », lance ce cuisinier à Foix, ancien rugbyman. Avant de lâcher : « Si je retrouve celui ou celle qui l’a tué… » En réalité, le cadet ne croit plus en un possible retour de son aîné.

Comme lui, les amis de l’acteur ont perdu espoir. « J’ai du mal à le dire, mais je pense que Gérald est mort », confie doucement la directrice de casting Marie de Laubier, qui a connu le comédien sur le tournage du « Petit Criminel » en 1990. Le 28 août 2019, Gérald Thomassin se rendait à Lyon pour une confrontation avec les deux autres suspects de l’assassinat sauvage d’une postière dans l’Ain. Accusé de ce meurtre commis en 2008 qui est au cœur du nouveau livre de Florence Aubenas, « l’Inconnu de la poste », Thomassin avait effectué près de trois ans de prison avant d’être libéré et que la police n’arrête un homme confondu par son ADN. En juillet dernier, le comédien a bénéficié d’un non-lieu.

«On était là pour lui, mais il était toujours seul»

Mais ce 28 août 2019, c’est à Nantes, où Thomassin change de train, que son portable émet pour la dernière fois. Depuis, l’acteur n’a plus donné signe de vie. Si Jérôme croit à un guet-apens tendu par des « zonards » que fréquentait son frère, Marie de Laubier et Philippe Bonaventure, le meilleur ami de Gérald, penchent pour une mauvaise rencontre. « Gérald allait facilement vers les gens, il était naïf », avance Philippe. Personne, dans le cercle rapproché, ne croit à la fuite ni au suicide. « Gérald n’a jamais loupé aucun rendez-vous judiciaire », insiste Philippe. « Il se réjouissait de cette confrontation. Il disait : Une fois que mon nom sera lavé… raconte Marie. Il savait qu’il serait indemnisé pour ses 903 jours de prison : il parlait même de s’acheter un mobile-home. »

PODCAST. Un César, des addictions, une affaire de meurtre : Gérald Thomassin, la vie d’un acteur damné

Un an et demi plus tard, la disparition de Gérald Thomassin reste une énigme. Comme la dérive de cet acteur talentueux et de cet homme décrit par tous ceux qui l’ont côtoyé comme « extrêmement attachant », « adorable », « le cœur sur la main », « loyal », « plein de poésie »… Et qui a vécu, de 2008 à 2019, souvent en proie à ses addictions, parfois sans domicile fixe. « On pouvait lui filer la Terre, à Gérald… ou la Lune. Avec ses petits yeux… » sourit Philippe Bonaventure, qui a rencontré Thomassin à 13 ans dans le foyer de Buc (Yvelines) où ils étaient tous les deux placés. Avant de conclure tristement : « On était là pour lui, mais il était toujours seul. »

Un jeu instinctif, naturel, brut

Le milieu du cinéma l’a porté aux nues dès son premier rôle, à 15 ans, dans « le Petit Criminel » de Jacques Doillon. Gueule d’ange et écorché vif, il explosait dans un rôle d’ado sur le fil, qui braque un flic pour retrouver sa sœur. Après un César du meilleur espoir masculin en 1991, Thomassin a enchaîné. Dix-sept films dont deux avec Doillon, un avec Nicloux ou un avec Chapiron, huit téléfilms : du cinéma d’auteur, des rôles âpres et une critique qui louait son jeu instinctif, naturel, brut. « Gérald était un acteur miraculeux, témoigne le réalisateur Jean-Pierre Sinapi, qui a tourné quatre films avec lui, dont Nationale 7. Il pouvait vous faire pleurer en récitant le bottin. »

Gueule d'ange et écorché vif, Gérald Thomassin se révèle à 15 ans dans « le Petit Criminel » de Jacques Doillon et avec Richard Anconina. PROD

C’est un éducateur qui l’avait poussé, « par hasard », au casting du « Petit Criminel ». Mais Gérald, déjà, adorait le cinoche. A 14 ans, il allait voir des films d’action avec son pote Philippe au Cyrano, à Versailles, et avait convaincu le projectionniste de les embaucher. « Je passais des films au Cyrano et Gérald à Parly-II, rapporte Philippe, aujourd’hui projectionniste à Nanterre. Avant les séances, Gérald se faisait des projections juste pour lui. » A cette époque, Philippe vibre pour Bébel, Gérald pour Stallone et Schwarzenegger : « Il adorait Scarface mais aussi le cinéma français, Charlotte Gainsbourg… » Sur les plateaux, d’ailleurs, Gérald s’épanouit tout de suite. « Quand il tournait le Petit Criminel, il m’appelait tous les soirs, se rappelle Jérôme. Il était heureux. Il était bien. »

« Gérald aimait être à fond dans le présent de la prise, assure Marie de Laubier. Cela lui donnait l’impression de vivre plus fort. » « Il disait Quand je tourne, ça me fait oublier les soucis. Il se sentait en famille, aimé », se remémore Philippe Bonaventure. Le comédien, pourtant, n’a jamais eu envie d’être une star. Educatrice au foyer à Buc, Marie-Paule Roirand avait accompagné Thomassin sur le tournage de Doillon. « Il m’avait dit Je ne veux pas que mes copains m’aiment parce que je fais du cinéma », se souvient-elle, encore bluffée par la « maturité » de ce gamin « haut comme trois pommes ». « Après le Petit Criminel, il y avait des affiches dans le métro, alors Gérald s’était rasé la tête et portait une casquette pour ne pas être reconnu », s’amuse Jérôme.

Il distribue son argent, dépense le reste dans l’alcool et la drogue

Sitôt les caméras éteintes, Thomassin ne donne pas d’interviews, zappe les avant-premières. « Plus il était loin du showbiz, mieux il se portait, souligne Philippe Bonaventure. En 1992, son agent Dominique Besnehard l’avait invité aux Césars, où Stallone était présent. Gérald s’en foutait : il m’avait donné les places. » Son propre César, l’acteur le vendra pour un peu plus de 6 000 francs, de même que le Fipa d’or reçu pour le téléfilm « Un arbre dans la tête ». « Faire carrière ne l’intéressait pas du tout », note Marie de Laubier. Entre 1990 et 2008, l’artiste tourne mais en dilettante. « Il attendait que ça vienne », raconte Dominique Besnehard. « Gérald restait injoignable pendant des semaines, confirme Yacouta Laghouag, l’ancienne assistante de l’agent. Il a raté des rôles alors que certains réalisateurs voulaient le rencontrer… »

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Après chaque film, le jeune homme « débranche ». « C’était la bohème au plein sens du terme, avec les paradis artificiels », analyse Marie de Laubier. Thomassin boit et, dès ses 20 ans, se shoote à la cocaïne, puis à l’héroïne. « Hors tournage, il était repris par ses démons », regrette Sinapi. L’acteur distribue son argent et dépense le reste dans l’alcool et la drogue. Puis il s’évapore dans la nature. Il dort dans la rue, dans la forêt, chez des copains. Devenue son amie sur un tournage en 1994, Béatrice Dalle l’a parfois hébergé : « Un soir où je n’étais pas chez moi, il était tellement ivre qu’il avait cassé la porte vitrée de mon immeuble. Il avait un sweat à capuche du groupe de rap Assassin alors mes voisins avaient cru que c’était Didier (NDLR : JoeyStarr de NTM), avec qui je vivais. »

Gérald Thomassin et son frère, Jérôme, ont connu une enfance mouvementée, avec notamment un placement en famille d'accueil. Un calvaire pour eux. DR

Certains tentent de trouver à Thomassin un point d’ancrage. En vain. « Je lui avais proposé une chambre de bonne à Nation, raconte Jean-Pierre Sinapi. Mais il préférait rester dans la rue. » « Parfois, j’ai cru qu’il allait s’en sortir, confie Besnehard. A un moment, il vivait avec une compagne plus âgée, très bien. J’étais allé dans leur appartement, et j’avais dit à Gérald Ça y est, tu t’es embourgeoisé ! Mais ça n’a pas duré. » Un pied dans le cinéma, un autre dans la marginalité, le comédien ne pose ses valises nulle part, lui qui traîne derrière lui ce que Philippe Bonaventure décrit pudiquement comme un « bagage super lourd ». « Le cinéma, c’est sept petites semaines de tournage, souligne Jacques Doillon, resté très proche de Thomassin. Concernant Gérald, dont la jeunesse a été si terrifiante, le cinéma protège pour un temps, provisoirement, superficiellement, des plaies par trop profondes. »

«Vous n’avez pas idée de ce qu’on a enduré»

Cette jeunesse, c’est Jérôme, son frère, qui nous la raconte. Nés à Drancy, Gérald et lui voient leur père prendre la tangente quand l’aîné a 18 mois. Ils ne le croiseront plus qu’en 1992, dans son cercueil. Les frangins vivent d’abord entre Pantin, chez leur mère, et Bobigny, chez leur grand-père. Quand la mère devient alcoolique, ils sont recueillis par une grand-tante à Champigny-sur-Marne, puis placés dans une famille d’accueil en Seine-et-Marne. Le calvaire durera sept ans.

Jérôme se souvient de la douceur des débuts, du « sucré-salé » des galettes Saint-Michel et de l’orangeade dans les Tupperware. Très vite, les garçons comprennent que leur mère ne les récupérera pas : « Un jour, un taxi l’a déposée : elle avait rapporté tous nos Lego dans des grandes poubelles en métal. » Puis viennent les coups, les coquards qui font rater l’école, les menaces de la mère d’accueil. Cette « boule de 1,50 m » les affame avant de leur faire manger les restes. Les frères Thomassin raconteront aussi des abus sexuels de la part des enfants de la famille.

« Vous n’avez pas idée de ce qu’on a enduré, soupire Jérôme. On pourrait en faire un téléfilm. » Les services sociaux ne comprennent la situation qu’en 1988 : Jérôme, 12 ans, est placé dans un lieu de vie puis une autre famille d’accueil en Ariège et Gérald, 13 ans, en foyer, à Cahors puis à Buc. Pour la première fois, les frères sont séparés.

«Gérald attirait la merde comme un aimant»

Est-ce de cette enfance, « pire que les Misérables », selon les mots de Jérôme, que Gérald Thomassin ne s’est jamais relevé ? « Pourquoi certains s’en sortent-ils et d’autres pas, parfois dans une même fratrie, s’interroge encore aujourd’hui l’éducatrice Marie-Paule Roirand. Il suffit parfois d’une rencontre… Gérald, il aurait fallu que quelqu’un l’adopte dans son cœur et ne le lâche pas d’une semelle. » « C’est ce que je ferais aujourd’hui », affirme Béatrice Dalle, qui se souvient du gosse « complètement perdu » qu’elle a connu en 1994.

Gérald Thomassin, en 1991, avec son César du meilleur espoir masculin. Il le revendra pour 6000 francs. AFP/Pierre Verdy

Adulte, Gérald Thomassin a été frappé par d’autres drames. A 20 ans, il veut fonder une famille, mais sa petite amie le quitte peu avant l’accouchement. Cette déchirure ne cessera de le hanter. Quelques années plus tard, le comédien retrouve sa mère morte d’une overdose dans un hôtel : elle sortait de prison après avoir transporté de la drogue entre Mexico et Paris. Gérald cumule ensuite les ruptures, les plongées en apnée dans la dope, les tentatives de suicide. En 2008, survient l’abominable : il est accusé à tort de l’assassinat de 28 coups de couteau d’une femme enceinte de cinq mois, puis incarcéré entre 2013 et 2016. « Cette suspicion lui a mangé le cerveau, l’a rongé corps et âme », souffle Marie de Laubier. Jusqu’à ce 28 août 2019 et cette disparition mystérieuse, sans doute tragique…

Ses amis évoquent le destin. « Gérald attirait la merde comme un aimant, soupire Philippe. Même dans cette affaire, où il n’a pas pu vivre le non-lieu… » « C’était un chat noir, renchérit Béatrice Dalle. Tout ce qui lui était donné de tendresse lui était enlevé. Une fois, il venait de prendre un petit chien à la SPA, un boxer. Il était tout content, il me l’amène : devant chez moi, le chien se fait écraser… Gérald était un maudit du ciel, un ange déchu. » « Vous voyez, dans la Chèvre, quand Depardieu dit à Pierre Richard : J’avais une vie un peu plate avant de vous rencontrer… lance Jérôme Thomassin. Avec Gérald, c’était toujours mouvementé. » Jacques Doillon, lui, nous écrit ces mots : « Depuis toujours, Gérald est/a été un survivant. Je voudrais qu’il le soit encore. »

BIO EXPRESS

Naissance le 8 septembre 1974 à Drancy (Seine-Saint-Denis)

1981-1988 : avec son frère Jérôme, Gérald Thomassin est placé dans une famille d’accueil en Seine-et-Marne.

1990 : tournage du « Petit Criminel » de Jacques Doillon. César du meilleur espoir masculin en 1991.

1997 : Fipa d’or du meilleur acteur pour le téléfilm « Un arbre dans la tête ».

2008 : sortie du « Premier Venu » de Jacques Doillon, son 17e film.

13 juillet 2013 : accusé du meurtre de Catherine Burgod, une postière assassinée le 19 décembre 2008, Gérald Thomassin est incarcéré. Il fera 903 jours de prison au total.

28 août 2019 : disparition près de la gare de Nantes.

26 juin 2020 : bénéficie d’un non-lieu dans l’affaire Catherine Burgod.

Source: leparis

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