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Internet, nouveaux réseaux, aide aux victimes : le visage de la prostitution cinq ans après la loi

2021-04-13T04:25:53.121Z


La loi de 2016 sur la pénalisation du client et l’abrogation du délit de racolage a modifié en profondeur la prostitution. Le phénomène s’es Outre son rôle de lutte contre les réseaux de proxénétisme d’envergure nationale et internationale, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) a une mission de centralisation des données et d’analyse du phénomène prostitutionnel. A l’occasion des cinq ans de la loi prostitution du 13 avril 2016, sa cheffe, la commissaire Elvire Arrighi, dresse un bilan. Comment le


Outre son rôle de lutte contre les réseaux de proxénétisme d’envergure nationale et internationale, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) a une mission de centralisation des données et d’analyse du phénomène prostitutionnel. A l’occasion des cinq ans de la loi prostitution du 13 avril 2016, sa cheffe, la commissaire Elvire Arrighi, dresse un bilan.

Comment le panorama de la prostitution a-t-il évolué depuis cinq ans ?

ELVIRE ARRIGHI. Les deux grandes mesures de la loi de 2016, la pénalisation du client et l’abrogation du délit de racolage, ont entraîné un changement complet de paradigme. L’appréhension du phénomène prostitutionnel a été bouleversée, pour la société comme pour l’activité policière. A l’époque, 53 % de la prostitution se déroulait sur la voie publique. Aujourd’hui, la mise en relation du client et de la prostituée se fait à 90 % par téléphone ou par Internet — avec ce que nous appelons « une prostitution logée », les passes ayant lieu dans des chambres d’hôtel ou des appartements. L’épidémie de Covid a encore accéléré ce changement. Les victimes — et les clients visés par la loi — se sont cachées. Les réseaux de prostitution se sont réorganisés, en s’adaptant au souhait des clients de ne pas se faire attraper.

Comment cette dématérialisation de la prostitution se traduit-elle ?

Cette « ubérisation » de la prostitution s’est produite à tous les étages du phénomène. Le recrutement des victimes, y compris à l’étranger, se fait par des échanges sur les réseaux sociaux. La publication des annonces à l’attention des clients sur des sites spécialisés ; la mise en relation entre le client et la prostituée par des SMS sur WhatsApp ou assimilés et les prises de rendez-vous sans contact physique. Les proxénètes organisent des standards où ils gèrent des dizaines de lignes et d’agendas. La location des chambres ou des appartements passe aussi par des sites Internet. Seule la prestation sexuelle se fait physiquement mais avec une emprise et un contrôle accru des proxénètes sur leurs victimes. Les réseaux ont mis en place de véritables infrastructures avec partage des rôles : l’un gère l’agenda, l’autre les locations, etc. Cette dématérialisation leur permet de maximiser les profits — les victimes font jusqu’à quinze passes par jour, d’un prix de 80 à 150 euros selon la durée et le type de prestations.

En quoi ces changements ont-ils transformé votre travail ?

Nos méthodes d’enquête ont été chamboulées : nous travaillons désormais principalement sur Internet. Même s’il reste une part de travail policier « à l’ancienne », les réseaux faisant encore appel à des gardes du corps pour ramasser les liquidités accumulées par les prostituées ou à des complices pour les déplacer. L’abrogation du délit de racolage a aussi eu pour conséquence qu’il n’est plus possible d’entendre une prostituée dans le cadre contraignant de la garde à vue. Ce qui permettait d’avoir plus de temps pour créer la confiance et recueillir des témoignages pour nourrir nos enquêtes. Certains de mes enquêteurs s’en plaignent mais c’est un peu un combat d’arrière-garde. Car le corollaire est la reconnaissance de leur statut de victimes et une philosophie juste d’interdiction de la marchandisation du corps. Il nous faut protéger les prostituées contre leur propre consentement, au nom du respect du corps de chacun et de chaque être humain. L’ADN de l’enquêteurest de se concentrer sur les auteurs.Sans perdre cet objectif de vue, il nous faut désormais porter tout autant d’attention aux victimes, à leur identification, à la mise en œuvre de leurs droits.

«Mettre les associations dans la boucle donne plus de chance de mettre la victime en confiance», estime la commissaire Elvire Arrighi. Ph Lavieille

La loi vous a-t-elle donné d’autres outils, via notamment les parcours de sortie ?

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Oui, nous disposons de nouveaux outils. Parmi ceux-ci figurent tous les droits accordés aux victimes de proxénétisme et de traite des êtres humains qui témoignent ou portent plainte. Il faut prendre le temps et travailler de concert avec les associations. Nous nous attachons à développer ce levier puissant pour nos enquêtes. Nous l’avons fait en mars dernier lors d’une opération contre un réseau colombien piloté depuis Barcelone (Espagne). Une quinzaine d’auteurs ont été interpellés dans quatre pays d’Europe. Une quarantaine de victimes originaires d’Amérique du Sud identifiées. En France, ces personnes étaient déplacées dans une vingtaine de villes. Pour la première fois sur une opération de cette ampleur, nous avons conçu une intervention simultanée avec le dispositif national d’accueil et de protection des victimes de la traite : un réseau associatif national à même de les orienter vers un parcours de sortie de la prostitution. Une dizaine de victimes ont accepté la mise en relation avec une association. Mettre les associations dans la boucle donne plus de chance de mettre la victime en confiance — et d’obtenir un témoignage intéressant pour l’enquête.

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Quels sont les principaux réseaux de proxénètes aujourd’hui ?

Les réseaux nigérians sont les seuls à continuer à exercer sur la voie publique, souvent en camionnettes. Les réseaux d’Europe de l’Est, principalement roumains, et les réseaux chinois se sont entièrement réorganisés en prostitution logée. Mais la tendance 2020 est l’explosion des réseaux sud-américains, avec des jeunes femmes acheminées depuis l’Espagne, où les clubs et autres maisons closes ont été fermés à cause du Covid. Ceux-ci représentent désormais la moitié de notre activité. Il y a enfin une recrudescence importante des victimes françaises, en raison d’un phénomène de « proxénétisme de cité », peu ou pas organisé, avec des trafiquants de petite ou moyenne envergure qui vont vendre leur cousine ou leur petite amie comme ils vendraient une barrette de shit. En 2020, les victimes mineures de proxénétisme recensées par l’OCRTEH et les services de police ont augmenté de 16 %, pour atteindre un total de 217 victimes mineures (sur 892 victimes).

La loi ciblait les clients de la prostitution… A-t-elle échoué sur ce volet ?

La loi visait à faire baisser la demande de sexe tarifé, ce qui n’est pas le cas. Le problème s’est déplacé et est devenu plus difficile à appréhender, avec des victimes presque invisibles. Ce volet pénalisation a été conçu sans qu’une campagne d’information permette aux clients de comprendre le caractère sordide de ce qu’ils consomment et financent. Les stages de sensibilisation ne s’adressent qu’à ceux qui ont été pris la main dans le sac. Or il y a encore une « glamourisation » de la prostitution. Il faut montrer aux clients le côté industriel des prestations. Il faut qu’ils sachent que les prostituées sont souvent deux dans la chambre, avec l’une qui attend dans les toilettes que l’autre ait fini en attendant le client suivant. Que ce ne sont pas elles qui répondent aux messages et qu’elles font quinze passes par jour. Une sensibilisation des clients et du grand public à la réalité de la vie de ces femmes est indispensable.

Les chiffres de 2020

53 réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains ont été démantelés par l’OCRTEH et les services de PJ en 2020.

875 auteurs ont été interpellés

892 victimes dont 217 mineures ont été recensées.

464 (chiffre affecté par la situation sanitaire) condamnations sur l’infraction de recours à la prostitution créé par la loi du 13 avril 2016 (contre 714 en 2019).

176 condamnations à des stages de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels (outre 68 stages accomplis en composition pénale et 36 en alternative avant classement sans suite).

(Sources OCRTEH et Chancellerie)

Source: leparis

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